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Tribune : Les élections européennes vues de gauche.

 

La confrontation électorale pour les européennes est si mal engagée qu'elle ne peut que renforcer au sein de l'électorat populaire et de gauche un mouvement d'abstention. Celui-ci trouve son origine dans toutes les déceptions depuis 2005…

 

A celles et ceux qui se posent la question d'accompagner ce retrait, ou d'appeler à un vote blanc ou nul, nous voulons rappeler qu'il convient de ne pas relativiser deux éléments.

  • Le premier est que l'invitation au désengagement est portée de longue date et de manière théorisée par des organisations, celles qui sont les plus anti-européennes, non par critique de l'UE mais par une hostilité à l'Europe empreinte de chauvinisme et cultivant la mythification d'une prétendue "souveraineté nationale". En France, on peut juger dérisoire l'appel au boycott du Pardem, le sont moins les campagnes de Dupont-Aignan, Philippot ou Asselineau, qui rendent compatibles ces mêmes  positions et une participation électorale.
  • Le second, plus important, est qu'un tel retrait, qu'on le veuille ou non sera compris comme participant d'une relativisation, sinon d'une neutralisation, de l'importance politique de ce qui est en train de se jouer. Cela s’accompagne de l’illusion qu’il serait possible de se défendre sans des liens et un combat commun  avec les travailleurs des autres pays d’Europe.
    C'est à ce point décisif qu'il convient d'apporter attention.

 

Quels enjeux ?

Une réalité politique à présent installée est la domination de la rivalité Macron/Le Pen. Laquelle marginalise à des degrés divers toutes les autres forces, à la seule exception sans doute de LR, pour imposer un détestable remake du 2ème tour de la présidentielle !

Ce mauvais scénario prend force parce qu'il est voulu et vulgarisé par les deux protagonistes, c'est-à-dire les deux forces qui font la course en tête.  Cet effet de couple produit une réduction du champ à une opposition binaire : "progressistes" contre "nationalistes" dit l'un, "patriotes" contre "mondialistes" répond l'autre. Un jeu de miroirs où les signes positifs et négatifs sont inversés, mais confirmée ladite opposition !

Alternative parfaitement fallacieuse et pernicieuse : à partir d'une tacite acceptation du capitalisme mondialisé se confrontent deux visions de ce que pourrait/devrait être l'UE. Soit  par un renforcement des institutions supranationales, soit à l'inverse celui de la prédominance des institutions nationales. Il s'agit de deux politiques capitalistes, assumant de surcroît les actuels impératifs néolibéraux. Non réellement alternatives, elles ne rompent ni l'une ni l'autre avec le nationalisme sous ses diverses variantes, ni ne proposent des réponses positives aux aspirations des classes populaires. Toutes deux réactionnaires, elles ne renvoient pas pour autant à des choix équivalents, dans la mesure où l'une engage sur la voie d'un néofascisme dont on ne peut ignorer les conséquences en termes de démocratie et de solidarité quant au devenir de nos sociétés.

Que cette opposition se présente comme la grille de lecture qui s'impose pour comprendre les enjeux et guider les choix électoraux, voici une réalité qu'on ne peut pas esquiver.

Sa portée est en effet destructrice, et ce de manière combinée au double plan européen et national. Elle tend à imposer qu'il n'y a pas à l'échelle de l'Europe d'avenir possible qui soit d'ordre un tant soit peu social, écologique et démocratique, et à frapper d'obsolescence définitive le clivage gauche/droite en  ce qu'il traduit de manière très déformée les oppositions de classe.

Il s'agit là d'un autre point de convergence entre Macron et Le Pen. Le premier n'a jamais dissimulé son objectif de confirmer lors des européennes  ce qu'il a engagé avec la présidentielle (l'hégémonie d'un "bloc central"), la seconde cultive de toujours le thème d'extrême droite du "ni gauche, ni droite"...

Certes, dans le contexte de la  crise provoquée par la mobilisation des Gilets jaunes, se dessinent des évolutions qui tendent à modifier les rapports de forces électoraux : Macron perd en attractivité sur sa droite, ce qui se traduit par une remontée de la droite LR et la possibilité pour Le Pen d'arriver en tête de l'élection. Mais cela traduit un glissement à droite  supplémentaire du champ politique et une aggravation de l'affaiblissement des forces à gauche.

Une gauche "façon puzzle" (1)

Se manifeste  à gauche l'impuissance à s'opposer à la logique destructrice qui la mine.

Pour une première raison : elle-même est percutée par la contestation du clivage gauche/droite. Soit qu'au nom d'un prétendu "populisme de gauche" (avec la théorisation d'une opposition peuple/oligarchie censée se superposer, voire se substituer au clivage gauche/droite) elle y adhère à sa façon, soit qu’elle ne sache quelle réponse efficace y apporter.

A quoi il faut ajouter la pente sur laquelle Yannick Jadot engage EELV, celle d'une écologie se distanciant de la référence à la gauche et à la dimension sociale, se moulant sur l’idée d’un possible "progressisme" social-libéral-écologique.

Les manifestations de cette faiblesse sont multiples. Le scénario du "référendum anti-Macron" à l'occasion des européennes rencontre un écho dans la mesure où il paraît en phase avec l'affaiblissement du gouvernement sous les coups du mouvement des Gilets jaunes. Reste qu'il escamote la nécessaire articulation avec les enjeux européens. Or, à cette échelle le vrai "non à Macron" est celui de Le Pen/Salvini et consorts... Un aveuglement qui renvoie sans doute à une incapacité ancienne et ancrée à assumer le caractère déterminant des enjeux européens. Cela à la différence précisément de Macron et Le Pen qui pour leur part proposent une effective combinaison des enjeux nationaux et européens.

C'est dire qu'on est loin d'en avoir fini, au-delà des péripéties actuelles, aujourd'hui d'ordre électoral, avec le travail nécessaire pour relever les défis existentiels auxquels la gauche de demain restera confrontée.

 

Continuité d'une bataille

Quels que soient les désaccords existant au sein d'Ensemble, et plus largement à gauche, il n’est pas possible de "se désintéresser" de ce qui se joue à l'occasion de ces élections.

A côté des camarades qui d'entrée de jeu ont estimé qu'il n'y avait pas d'autre choix possible que de s'inscrire dans la dynamique FI, nous avons mis en oeuvre de manière déterminée une orientation opposée. Celle défendant l'idée qu'il y avait nécessité et possibilité d'une liste unitaire à gauche, défendant une orientation de transformation sociale, démocratique, écologique, féministe, de portée européenne et à visée internationaliste. Une unité impliquant PC, Génération.s, Ensemble, Diem 25, Nouvelle donne... Hypothèse qui en cas de sa réalisation aurait fait pression sur FI, voire sur EELV et Place publique, contraignant ces forces à s'interroger sur leur cavalier seul pour ces élections.

Nous avons échoué à faire aboutir cette bataille. Nous devons le reconnaître, mais aussi refuser l'explication selon laquelle cette bataille était inutile, voire relevait d'une orientation erronée.

L'image de la "gauche puzzle" parce qu'elle est pertinente mérite d'être interrogée. S'il y a puzzle, c'est qu'existe, qu'on le veuille ou non, qu'on le regrette ou s'en félicite, un périmètre commun, un dessin sinon un dessein, pour  ces pièces dispersées. Cette gauche est aujourd'hui confrontée à un paradoxe. L'obligation d'expliquer ses divisions génère un débat quant aux désaccords existants, lesquels sont réels et au demeurant évolutifs (ce dont par exemple témoignent les échanges nourris à propos des traités et du degré de rupture préconisée avec eux). Mais, alors qu'une unité électorale assumée aurait permis un débat politique intéressant, la division imposée conduit à rendre ces échanges inaudibles par la grande majorité de l'électorat de gauche. Laquelle perçoit ces rivalités comme déterminées par des intérêts médiocres n'ayant que peu ou rien à voir avec les enjeux de ces élections. Du coup, c'est la double peine : ce qu'on perd en débat politique, on le paye aussi en termes de crédibilité électorale.

La gauche dans toutes ses composantes commence (car ce n'est qu'un début) à payer la note. Cela par l'incapacité à s'opposer aux confusions qui démobilisent et désorientent l'électorat populaire. Celles-ci sont légion. Par exemple un mixage entre enjeux européens et enjeux nationaux qui, loin de pouvoir expliquer la combinaison entre les deux, conduit à s'y empêtrer. Ou lorsqu'au "voter pour quoi ?" s'ajoute le "voter pour qui ?".

Toutes choses qui valent confirmation que la bataille d'hier qui visait à éviter cette situation devait être menée. Et qu'il est important pour demain de ne pas céder sur ce point. Car aux motivations politiques qui l'ont guidée sont associés les éléments qui demain doivent permettre de travailler à se désengager des ornières où la gauche aujourd'hui s'embourbe. Et pour combattre les voies dangereuses où les droites et extrêmes droites entraînent nos sociétés.

Pour qu'à gauche on échappe demain à la spirale de l'auto-destruction il faudra reprendre à nouveaux comptes les questions auxquelles il n'a pas été répondu.  Dans l'immédiat, pour le 26 mai, il est justifié d'expliquer qu'à gauche il est impératif de voter, et qu'on peut le faire sans cautionner une des listes contre les autres. Car toutes à des degrés divers portent une part de responsabilité dans la division, et aucune ne propose une orientation pleinement satisfaisante au regard des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Cela veut dire un appel à voter de manière indifférenciée à gauche, chacune et chacun étant maître de déterminer quelle liste paraît la moins mal à même de porter les réponses aux défis de la situation. Une position qui peut être comprise sans trop de difficulté par qui s'intéresse à ce qui se débat dans Ensemble, sinon de ce que dit Ensemble...

 

10.05.2019

Pierre Cours-Salies, Michelle Ernis, Roland Mérieux,

Cécile Silhouette, Francis Sitel

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